Trois versions du mot broue
Le mot broue désigne trois choses distinctes. Selon le contexte, ce nom tiré du mot anglais brew signifie « bière », « mousse » ou « écume ».
Exemples :
— Je prendrais bien une dernière petite broue avant de retourner à la maison. Je n’ai pas encore réussi à noyer mon stress de la semaine.
— Tu as de la broue dans la moustache. Tu bois trop vite ou tu ne te laves pas assez souvent.
— Attention ! Le taureau a de la broue autour du mufle. Ce n’est pas le temps d’aller jouer au rodéo.
On retrouve le mot broue dans deux expressions québécoises très courantes : péter de la broue et avoir de la boue dans le toupet.
Péter de la boue
L’expression péter de la broue signifie « se vanter, faire de l’esbroufe, se mousser avec excès ». C’est se mettre à l’avant sans aucune subtilité ni finesse.

Exemples :
— Jules passe sa vie au bar à raconter ses exploits passés. Il boit comme un trou, puis il se met à péter de la broue.
— Je suis découragé. Les promotions ne vont qu’à ceux qui passent leurs journées à péter de la broue. Le vrai travail n’est jamais récompensé.
— Jules a vraiment du culot. Il continue à péter de la broue, même après nous avoir fait perdre tout notre investissement.
Comme synonyme de péter de la broue, nous disons aussi péter plus haut que le trou, l’équivalent québécois de l’expression française péter plus haut que le cul.
L’ajout des suffixes -age et -eux nous permet d’utiliser les locutions pétage de broue pour dire « prétention, vanité » et péteux de broue pour parler d’une personne vaniteuse.
— Je ne vais plus aux soirées de gala. Ce n’est que du pétage de broue pour mondains en quête d’ascension sociale.
— J’avais toujours rêvé de travailler à l’université. Après un an, je peux affirmer : quelle déception ! Je ne savais pas que je ne travaillerais qu’avec un ramassis de péteux de broue.
Avoir de la broue dans le toupet
L’expression avoir de la broue dans le toupet signifie « être débordé, être très pressé, travailler fort, être excité, agité ».
Notez que dans cette expression, le mot toupet est généralement prononcé « toupette », tandis que dans l’expression avoir du toupet, nous prononçons « toupè ».
Une lectrice nous a écrit pour nous donner l’origine probable de cette expression. Avoir de la broue dans le toupet tirerait son origine du temps où les chevaux tiraient les calèches. Un cheval qui avait beaucoup couru écumait par ses narines et sa bouche. L’écume pouvait monter jusque dans la partie frontale de sa crinière. Autrement dit : il était à bout de force et sur le bord de s’écraser.
Une autre explication lie l’expression au fait qu’une personne très pressée aurait bu sa bière si rapidement que la mousse (la broue) se serait accrochée à ses cheveux (le toupet)
Exemple :
— Avec la COVID, l’école à la maison, les réunions Zoom qui gèlent tout le temps, j’ai de la broue dans le toupet.
— Julie a de la broue dans le toupet. Elle doit servir de la bière à plus de quarante touristes impatients qui viennent d’arriver en autobus (autocar).
— Avant Noël, au salon de beauté, les coiffeuses ont de la broue dans le toupet. Elles n’ont pas le temps de prendre leur pause-café, ni même de se coiffer.
De la bière pour tous les goûts
Savez-vous ce qu’est une bière tablette ?
Une bière tablette, c’est une bière servie à la température de la pièce, une bière tiède.
— Mon père et mes oncles ont toujours préféré boire des bières tablettes, alors que moi, je suis incapable d’en avaler une seule gorgée.
Savez-vous ce qu’est une bière en fût ?
Une bière en fût, c’est simplement une bière pression. Toutefois, toutes les bières en fût ne sont pas servies sous pression. On peut donc avoir des surprises dans certaines micro-brasseries.
— Mon cousin français a commandé une bière pression et j’ai commandé une bière en fût. Et nous avons eu la même bière !
Et pour terminer, les Français utilisent parfois le terme bière en boîte pour désigner une bière en canette. Cet usage d’« en boîte » est presque inconnu au Québec.
Savez-vous ce qu’est une bière d’épinette ?
Malgré son nom, la bière d’épinette n’est pas une bière, mais une boisson gazeuse. Il faut aussi savoir qu’une épinette est un épicéa.
À l’origine, la bière d’épinette était fabriquée avec des aiguilles ou des pousses d’épinette (épicéa) bouillies dans de l’eau avec du sucre ou de la mélasse. Aujourd’hui, les essences qui entrent dans la fabrication de la bière d’épinette sont pour la plupart artificielles.
Au XVIIe siècle, les premiers colons venus au Canada buvaient de la bière d’épinette pour ses vertus médicinales, car cette boisson combattait efficacement le scorbut.
Certaines micro-brasseries fabriquent de la bière d’épinette alcoolisée. Toutefois, nous parlons ici d’une production savoureuse, mais marginale.
La liqueur qui n’est pas une liqueur
Une autre particularité linguistique québécoise qui sème de la confusion est le motliqueur. Au Québec, ce mot est souvent synonyme de « boisson gazeuse », et non pas de « boisson alcoolisée ».
Ainsi, la bière d’épinette n’est pas une bière, c’est une liqueur… qui ne contient pas d’alcool. Voilà pourquoi certains parents offrent de la liqueur à leurs enfants sans être des parents dénaturés pour autant.
Exemples :
— Arrête de boire de la liqueur, tu ne dormiras pas ce soir.
— Durant la semaine, je n’aime pas que mes enfants boivent de la liqueur.
— À l’école de mes enfants, ils ont cessé de servir de la liqueur.
L’autre sens du mot bière
Nous terminons avec une définition du mot bière qui est presque inconnue au Québec.
En France, le motbière est employé comme synonyme du mot cercueil. Cet usage déroute bien des Québécois lorsqu’ils lisent dans un roman que l’un des personnages est mis en bière. C’est alors une étrange image qui leur vient en tête.
Il est intéressant de découvrir que les sens très différents du mot bière s’explique par des étymologies d’origines éloignées.
Bière :
1. Emprunt au moyen néerlandais bier, ‘bière’ au sens de ‘boisson’ ; du germanique beuran, ‘bière’ ; peut-être du latin classique biber, ‘boisson’.
2. Mot du fonds primitif issu du francique bera, ‘civière’ ; du francique beran, ‘porter’ ; du germanique beranan, ‘porter’.Dictionnaire historique d’Antidote